lundi 9 septembre 2024

Le crime parfait

 .



______________________________________________________


Un crime parfait 


Je vous le dis. En vérité, je vous le dis. Il y a prescription. J'ai soixante cinq ans. Ma vie s'achève. Et je vis le sursis qui m'est accordé puisqu'en l'instant où j'écris ces lignes, et si l'on doit se fier aux derniers résultats d'analyse, je ne suis exposé à moyen terme, ni à un cancer du colon, ni a un cancer de la prostate, mais je vis ce sursis comme le sas d'entrée en enfer considérant ce que je sais de la somme des turpitudes que j'ai commises toute ma vie durant. Oui, parce que si vous ne savez pas ce qu'a été ma vie moi je le sais.

Le passé me revient tout en vrac, soudain, m'envahit désormais, me hante, me possède. Ce passé fait plus que me coller à la peau comme la tunique de Nessus, il me fouaille, me ronge.

Je suis célibataire, pas de femme, pas d'enfant. Je ne sors plus. Une femme, j'ai failli en avoir une, puis deux, puis trois. Vingt-cinq même.

    Mais la femme dont je vous parle c'est la femme, la vraie, celle que j'ai aimée d'amour. Le vrai. Ce n'était pas un amour fou, c'était l'amour, le vrai. 

   Qu'est ce que le vrai. Je n'en sais rien. J'avais vingt-deux ans. Elle avait vingt deux ans. J'aimais sa chevelure, son sourire, ses lèvres, son parfum et ses boucles d'oreille. J'étais employé au service mécanographique. Evidemment, puisque ça date. Elle était employée aux écritures. On s'est croisé dans les locaux de l'entreprise. Un jour, ujn matin je m'en souviens encore, ça s'est passé dans l'escalier qui descendait du rez-de-chaussée au sous-sol. Je descendais. Moi aussi, comme l'escalier. Pour être bref et précis je descendais l'escalier. Elle montait de l'imprimerie étreignant une liasse de circulaires. Elle a levé les yeux vers moi. J'ai dû la troubler gravement. Elle a tout lâché d'un coup. 

    Il y a eu un bel envol de feuilles blanches qui après s'être complues dans les jolies et courtes arabesques se sont éparpillées sur toutes les marches. Je me suis baissé et l'ai aidée à ramasser, nos yeux se sont croisés, nos fronts, nos joues se sont frôlées. Chacun a dû rosir un peu. 

   C'est comme ça que nous sommes tombés amoureux. On a commencé à se fréquenter. C'est comme ça que l'on disait à l'époque. On était à la veille de mai soixante huit. 

   Elle s'appelait Apolline. Elle m'a dit : " Avec un p ". Je l'ai regardée. Ah ! bon. Je n'ai pas compris pourquoi elle m'avait dit ça. 

   Il est vrai qu'un soir nous allions au cinéma voir les canons de Navaronne avec avec ..., non ça les canons de Navarrone ce fût plus tard avec une autre, celle-là elle m'avait fait tout un scénario pendant la séance. Elle avait enlevé ses boucles d'oreille, puis donner sa langue. Carrément .. Elle était bonne d'ailleurs, mais je reviens à Apolline. Apolline ce soir là s'était étonnée que je ne connusse pas Colette, du moins que je parusse ne point la connaître. Comment tu ne connais pas Colette ! J'avais été vexé.

Un soir, c'était en août Apolline et moi cheminions sur le quai au bord du fleuve. J'était allé chez le coiffeur. J'avais le cheveu très court. Presqu'en brosse. J'avait fait mon service dans les parachutistes. Elle n'a pas aimé du tout. " Pourquoi as-tu fait ça ? " m'a-t-elle questionné. Donc ma tête ne lui revenait pas, donc l'amour qu'elle me portait n'était que physique. J'aimais bien pour ma part passer ma main sur ses seins ronds et bien agréables. J'avais aussi pu constater, du moins au toucher qu'elle se rasait. Quand je glissais ma main dans son slip ça me piquait agréablement c'était dru. J'aime bien moi quand le pubis est en friche ...

    Mon cœur n'était rien pour elle. Elle ne m'aimait pas, me désirait, c'était sexuel chez elle. Elle m'avait déjà bien contrarié avec Colette. Je suis même certain que j'ai connu Colette bien avant elle.

Je n'ai jamais trop su ce qui s'était passé. L'on marchait le long du quai épaule contre épaule. Nous nous étions pourtant soudain enfoncés dans un silence malheureux, peiné. Elle était côté fleuve. A un moment, je me suis écarté d'elle pour bien la regarder pour lui dire, captant son regard, avec mes yeux : " Apolline, pourquoi m'as tu dit ça ? ". 

      Elle a tourné la tête vers moi, puis elle a dû se prendre le talon entre deux pavés. Elle a crié, mais c'est parce qu'elle a dû se tordre la cheville et puis elle a basculé dans le fleuve. J'ai vu ses yeux effarés, ses jambes, elle tombait à la renverse, sa jupe glissait sur ses cuisses, sa petite culotte blanche, elle tombait on voit des trucs comme ça dans les films, un plouf, un bruit, un geyser. J'ai regardé, il y a eu des remous. J'aurais pu plonger. J'ai crié, j'ai fait des gestes avec les bras. Elle coulait, remontait, dérivait. J'ai eu peur. Je n'ai pas plongé. Les pompiers ont mis du temps pour la retrouver et la repêcher. Ils m'ont interrogé. La police, le juge. Suspicion d'homicide. Ils me regardaient les uns et les autres d'un drôle d'air. Je suis convaincu qu'ils se disaient que j'aurais pu plonger. Il faisait noir. Il y avait un fort courant, il y avait des tourbillons. Non, non ça c'est fait tout seul. J'aurai pu plonger.

     Ont-ils cru que je l'avais poussée. Sans nul doute. Ces gens-là ne sont pas des gens de la dernière averse, ils ont du métier ils n'ont pas manqué de diligenter leur police scientifique. Par chance j'ai eu un alibi, un allié auquel je n'avais pas prêté attention dans l'effroi du moment. Ils ont retrouvé l'un des escarpins qui dans la torsion du pied avait planté là et profondément son talon ... J'ai dit ; Vous voyez bien ! ... ça ne voulait à la réflexion rien dire  la poussant le talon aurait pu tout autant resté planté là .. Bon ils se sont fiés à ma bonne tête, la sidération dans laquelle j'étais les a dissuadés d'en rajouter ..

     La vérité c'est que après que je lui ai eu dit Apolline pourquoi m'as-tu dit ça, je me suis avancé vers elle déterminé, impassible, elle a reculé, elle est tombée dans l'eau. Oui c'est parce que le talon de son escarpin s'est coincé entre deux pavés. Si les pavés avaient été bien posés, calés, aussi, jadis l'on alignait les pavés au cordeau, ils se touchaient ... Enfin quand je dis se touchaient c'est une manière de parler ... l'on pourrait poursuivre la ville pour mise en danger d'autrui par défection du pavement..

Je l'aime encore, c'est la seule femme que j'ai aimée.

         On a retrouvé son corps plusieurs jours après dans la vase à un kilomètre.. Des rats avaient commencé à picoré sa chair gonflée j'aurais dû dire grignoté sa chair  ... c'est un policier qui me l'a dit ... 

.

Je vous le dis.

   En vérité, je vous le dis. Il y a prescription. 

      J'ai soixante cinq ans. Ma vie s'achève. Et je vis le sursis qui m'est accordé puisqu'en l'instant où j'écris ces lignes, et si l'on doit se fier aux derniers résultats d'analyse, je ne suis exposé à moyen terme, ni à un cancer du colon, ni a un cancer de la prostate, mais je vis ce sursis comme le sas d'entrée en enfer considérant ce que je sais de la somme des turpitudes que j'ai commises toute ma vie durant.

    Oui, parce que si vous ne savez pas ce qu'a été ma vie moi je le sais. Le passé me revient tout en vrac, soudain, m'envahit désormais, me hante, me possède et me colle à la peau comme la tunique de Nessus.

   Je suis célibataire, pas de femme, pas d'enfant. Je ne sors plus. Une femme, j'ai failli en avoir une, puis deux, puis trois. Vingt-cinq même.

   Mais la femme dont je vous parle c'est la femme, la vraie, celle que j'ai aimée d'amour. Le vrai. Ce n'était pas un amour fou, c'était l'amour, le vrai. Qu'est ce que le vrai. Je n'en sais rien.

   J'avais vingt-deux ans. Elle avait vingt deux ans. J'aimais sa chevelure, son sourire, ses lèvres et ses seins. J'étais employé au service mécanographique du rectorat. Mécanographique évidemment, puisque ça date. 

      Elle était employée aux écritures, petite main administrative quoi ! . On s'est croisé dans les locaux de l'entreprise. Dans l'escalier qui allait du rez-de-chaussée au sous-sol. Je descendais. Elle montait de l'imprimerie étreignant une liasse de circulaires. Elle a levé les yeux vers moi. J'ai dû la troubler gravement. Elle a tout lâché d'un coup. Il y a eu un bel envol de feuilles blanches qui après s'être complues dans de jolies et courtes arabesques se sont éparpillées sur toutes les marches.

    Je me suis baissé et l'ai aidée à ramasser, nos yeux se sont croisés, nos joues se sont frôlées. Chacun a dû rosir un peu. C'est comme ça que nous sommes tombés amoureux. On a commencé à se fréquenter. C'est comme ça que l'on disait à l'époque. On était à la veille de mai soixante huit.

   Elle s'appelait Apolline. Elle m'a dit : " avec un p ! ". Je l'ai regardée. Ah ! bon. Je n'ai pas compris pourquoi elle m'avait dit ça.

     Un soir nous sommes allés au cinéma voir les Canons de Navarone, avec Anthony Quinn,  non je m'égare, je me trouble, ça les Canons de Navarone ce fût plus tard avec une autre, celle-là, c'était Françoise, elle vit encore, elle, elle m'avait fait tout un scénario pendant la séance. Elle avait enlevé ses boucles d'oreille, puis donné sa langue. Ah ! cette langue, ce que c'est bon une langue bien prise, bien consentante... Elle était bonne d'ailleurs, mais je reviens à Apolline. Un dernier mot sur Françoise, ça n'aurait pas duré, elle avait la chair laiteuse et de grosses cuisses. Mais sa langue ...

    Apolline ce soir là s'était étonnée que je ne connusse pas Colette, du moins que je parusse ne point la connaître.

    " Comment tu ne connais pas Colette ! " Nous descendions la rue du Calvaire. J'étais vexé.

     Un soir, c'était en août Apolline et moi cheminions sur le quai au bord du fleuve. J'était allé chez le coiffeur. J'avais le cheveu très court. Presqu'en brosse. J'avait fait mon service dans les parachutistes. 

   Elle n'a pas aimé du tout. " Pourquoi m'as-tu fait ça ? tu sais que je ne n'aime pas, ça te donne une drôle de tête. " m'a-t-elle fait la leçon.

     Donc ma tête ne lui revenait pas, donc l'amour qu'elle me portait n'était que physique. J'aimais bien pour ma part passer ma main sur ses seins ronds et bien agréables. J'avais aussi pu constater, du moins au toucher qu'elle se rasait. Sa chatte. A l'époque l'on ne connaissait pas le mot. Donc mon cœur n'était rien pour elle. Elle ne m'aimait pas, me désirait, c'était sexuel chez elle.

     Elle m'avait déjà bien contrarié avec Colette. Je suis même certain que j'ai connu Colette bien avant elle, elle la petite main, la sténo-dactylo. Je n'ai jamais trop su ce qui s'était passé. L'on marchait le long du quai épaule contre épaule. Nous cheminions en silence enfoncés dans un silence pesant, malheureux, peinés. Elle était côté fleuve. A un moment, je me suis écarté d'elle pour bien la regarder pour lui dire, captant son regard, avec mes yeux : " Apolline, pourquoi m'as tu dit ça ? ".

    Elle a tourné la tête vers moi, puis elle a dû se prendre le talon entre deux pavés. Elle a crié, mais c'est parce qu'elle a dû se tordre la cheville et puis elle a basculé dans le fleuve. J'ai vu ses yeux effarés, ses jambes, sa jupe qui lui retombait sur la tête, son slip, blanc, un bruit, un geyser. Il y a eu des remous. J'aurais pu plonger. J'ai crié, j'ai fait des gestes avec les bras. Alors des gens ont accouru. Ils ont vu. Ils regardaient ça plongeait, ça émergeait, ça replongeait, ça... Enfin quelqu'un a couru trouver un téléphone, dans un café ce qui ne manque pas dans un port. Elle coulait, remontait, dérivait. J'ai eu peur. Je n'ai pas plongé. Les pompiers ont mis du temps pour la retrouver, trouver le bon accès au fleuve, et la repêcher.

    Ils m'ont interrogé. La police. Le juge. Garde à vue. Ils m'ont épuisé. Suspicion d'homicide. Non, non ça c'est fait tout seul. J'aurai pu plonger. J'ai pleuré, je leur ai dit, j'ai paniqué, j'ai eu peur, plonger dans l'eau noire dans la nuit noire ...

     La vérité c'est que après que je lui ai eu dit Apolline pourquoi m'as-tu dit ça, je me suis avancé vers elle déterminé, impassible, sombre, elle a reculé, elle est tombée dans l'eau.

     ça s'est fait au ralenti...

    Je l'aime encore, c'est la seule femme que j'ai aimée. Tout au plus profond des boues du fleuve un crâne parfaitement poli par le temps doit se tenir bien sage, impeccable  ...

    Cramoiseau jubile, qui sait ? moi seul au monde ...

                                                     ***
_____________________________

dimanche 11 octobre 2015. 3 juillet 2023
______________________________

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire