lundi 3 juillet 2023

Nouvelle - 24 - Un chien à sa fenêtre

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14 - Un chien à son balcon


Elle s'appelle Henriette Bourdin. Elle est retraitée. Elle n'a ni parents, ni proches, ni mari, ni enfant. Son mari, jadis, la quitta. Sa solitude, son ennui la brûlent, la consument. Chaque minute lui est le grain d'un chapelet qu'elle égrène du bout de ses doigts grêles.


Pourtant Henriette s'est achetée un animal de compagnie. Un grand chien, un dalmatien blanc avec des taches noires. Il a de la prestance, quand il la regarde, ses grands yeux noirs fixent et impressionnent Henriette. Assis, quand elle s'approche de lui, son mufle lui arrive à la hauteur des seins. Des seins. Elle n’en eut jamais qu’un semblant.


Quand il sont venus lui livrer l'animal, elle l'a fait installer sur un coin de son balcon qui donne sur la rue. Dès qu'il a été déballé, calé, Henriette l'a savonné à l'eau chaude et rincé à grande eau. Les voisins du dessous n'ont pas été contents. Elle a eut quelque gène à passer l'éponge entre les cuisses de l'animal pourtant émasculé puis l'a lustré vigoureusement avec une peau de chamois. Puis elle a reculé, regardé le chien, elle était heureuse. Elle s'est penchée et a posé ses lèvres sur sa truffe humide.


C'est un beau chien. Tout en plâtre.


Elle avait anticipé et acheté des bassines en plastique, des litières et des sacs de croquettes. Elle les remplit, les change, les vide, les nettoie trois fois par jour, le matin, le midi, le soir. Toutes ses journées depuis cette acquisition subite sont vouées au bien être de monsieur Le Baron, c'est ainsi qu'elle a baptisé le chien. Selon un protocole mis au point au fil des jours, levée, lavée, en robe de chambre elle parait sur le balcon, va flatter le museau de Baron, lui donne un baiser au sommet du crâne, dépose à ses pieds la gamelle de croquettes et un bol d'eau. Elle lui souhaite une bonne journée. Elle lui fait : " Nest-ce pas monsieur le Baron !" puis le quitte, referme sa porte-fenêtre et prend son petit déjeuner en le regardant.


Elle prend un thé aux biscottes qu'elle beurre délicatement faisant toujours éclater la première, maîtrisant mieux la seconde. De ses gros orbites noirs, tirant un bout de son immense langue rose et pendante, le chien voit le thé de sa maîtresse lui dégouliner aux commissures qu'elle s'essuie du revers de sa longue main maigre. Il attend, patient. Une fois qu'elle a eu pris son petit déjeuner ainsi et rangé sa vaisselle, essuyé sa toile cirée, elle retourne sur le balcon et fait pivoter la bête sur son séant posé sur un paillasson qui prévient toute salissure du poil. Ainsi monsieur le Baron se divertit des mouvements de la rue.


Midi donc. L'on recommence, Elle sert le chien d'abord. Elle commence par enlever les récipients du matin souvent pleins encore qu'elle vide, nettoie, essuie et garnit de nouveau d'une nourriture différente. C'est recommandé. Il faut à monsieur le Baron des repas équilibrés. Elle lui sourit, lui tapote le crâne et lui souhaite un bon appétit. "Allez, il faut manger le chien, mangez monsieur le Baron". Puis elle rentre préparer son déjeuner. A quatre heures Henriette Bourdin se reprend un thé accompagné de trois Petits Beurre. Mais monsieur le Baron, quant à lui, n’a droit qu'au renouvellement de son eau. A dix huit heures réitération de la démarche du midi. Elle sert monsieur le chien, lui laisse pendant qu'elle prépare son propre dîner le temps d’apprécier le sien puis le débarrasse de ses bassine, gamelle et bol qu'elle nettoie, essuie et range dans son placard à balai, puis revient cette fois lui faire la toilette du soir. Avec une brosse elle lui lustre vigoureusement le poil , lui caresse les flancs, lui baise la truffe qui lui paraît toujours humide et lui dit :


- Alors, monsieur le Baron a passé une bonne journée, eh bien on va passer une bonne nuit maintenant, n'est-ce pas ?".


Quand les premiers froids apparaissent, commencent à piquer, Henriette compâtit : "Ah, monsieur le Baron est glacé ce matin, il aura eu froid, il aura mal dormi, ce soir grand- maman vous enveloppera dans sa belle couverture écossaise". Et le soir venu Henriette couvre monsieur le Baron de sa belle couverture écossaise.


Henriette Bourdin vivait, lui semblait-il un peu plus heureusement depuis que monsieur le Baron vivait avec elle. Mais les bassines, les gamelles, les bols, les litières et la brosse à reluire commençaient à l'épuiser et elle se disait qu'après tout ceci ressortissait à une pathologie grave. Car enfin s'agiter ainsi à longueur de journée autour de ce qui n'était qu'un morceau de plâtre moulé, façonné, coloré, était tout bonnement ridicule.


Ainsi pensait-elle depuis quelque temps lors de ses insomnies. Alors elle déculpabilisait en se disant qu'il y en avait tant d'autres qui fantasmaient sur des nains de jardin. Cependant, des fièvres ardentes venaient la troubler encore lui suggérant qu'un vrai petit chien à poils longs, qu'une petite boule de chair vivante, soyeuse et tendre, pourrait venir agacer heureusement par de singuliers lapements sur le rivage de ses tréfonds intimes, le creux de son ventre.



   


                      

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