lundi 3 juillet 2023

Nouvelle - 21 - Le Beaujolais nouveau est arrivé.

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Le Beaujolais nouveau est arrivé.


     Julie Cramoiseau est épuisée. Il est minuit. L'heure des crimes. Une longue journée de cours à la faculté, une angine persistante, quelques heures d'études encore, l'ont crevée. Elle dodeline de la tête, ferme les yeux, les réouvre, les éteint de nouveau, s'effondre, le front sur L'histoire des institutions de l'époque franque à la révolution, grand ouvert sur son bureau.


       Mais qu'est-ce ? Elle perçoit comme des bruyances dans la chambre d'à côté, la chambre mitoyenne.


     Elle tend l'oreille, elle croit percevoir comme des remuements, des couignements, des gémissements provenant de la chambre d'à côté, la chambre mitoyenne, la chambre des parents. Elle se réveille, se redresse, se cale sur sa chaise, elle entend, elle écoute.


     - Ah... aah... ô... oh ! n... no... noon... pas si vi... aïe...


    Julie comprend soudain. Blêmit, se fige, se raidit.


   - Gr ...  grr... khrac... whaououou, ah... ah ah ah... ouille ... huhuhu... oh oui !


   Alors Julie sans bruit vient coller l'oreille contre la cloison.


   - Ah ah !...


   ... des voix sourdes ; ... aa... une voix rauque mise en sourdine, mais elle discerne ... arrête ta fille... va... non ! pas comme çà salaud... aïe... tu fais mal... tu sais que j'aime pas... ô ! ... ouille... ta fille... mais arr  .. Tu vois bien q ...


   - Mais non ! elle a étudié tard, les portes sont fermées... ma divine, mon cœur d'amande, mes seins chéris, mon grain de riz nappé de coulis pakistanais, je t'aime... envies de t'en... je t'ai... ah ah ah... Ta chatt ......


  - Cesse Gilbert tu n'es plus digne, elle va entendre !


  - Digne ? ! mais de quoi amour de mes mille et une nuits, ma ... mon adorée, ma cocotte en papier, ma Pierrette au pot au lait, ma Sémiramis esclave et reine... mon herbe folle, mon gazon tondu, ma touffe tout à moi, mes monts et merveilles, ma croupe d'albâtre, mes pointes érigées, mes chatteries intimes, ah ah ma perle aux coulis vanillés, toi ma Grisette, ma Juliette, mon Héloïse, ma .... mon amandine, ma mégane utilitaire...


  - Suffit ! arrête ou je t'en mets une, tu me fais mal, tu me répugnes, tu pues le beaujolais nouveau, tu n'es pas dans ton état normal, arrête, ce n'est plus drôle, ce n'est plus de l'amour, c'est bestial.


  - Vu-i... hihihi... Cruicrui... humhum... ouiiii tendresse et poésie chérie, comme tu aimes miaou ou ou...


       Julie Cramoiseau de l'autre côté de la cloison est défaite, folle de rage, malade à vomir, sort de sa chambre entre en force dans la chambre parentale et funeste, allume, demeure pétrifiée, ses yeux s'exorbitent, sa bouche reste entrouverte, le corps nu de son père chevauche le corps nu de sa mère. Odeurs, sueurs, relents, remugles... le regard chaviré de sa mère, qui la voit, pétrifiée, honteuse .. 


     Julie Cramoiseau défaille, tourne sur elle-même, gémit, tombe, s'évanouit, s'étale sur le parquet. Gilbert Cramoiseau a extirpé sa queue du conduit maternel par lequel il féconda Julie. Brigitte Cramoiseau est revenue à elle, a sauté du lit, s'accroupit près de sa fille, l'appelle, lui passe la main dans les cheveux.


    Prends ton verre demande Brigitte Cramoiseau à Gilbert son mari et père de l'infante, emplis-le, un peu, la bouteille est au chevet du lit. Il reste un fond. Du Beaujolais.


    Elle relève la nuque de Julie qui ouvre un œil contre ses seins nus, et lui tend le verre.


   - Tiens, bois, lui dit sa mère, c'est du beaujolais nouveau, le reste de la bouteille que ton père a laissé. Julie en boit une lampée, et l'on entend ronfler le père Cramoiseau qui  s'est abattu sur le lit, et s'est soudainement endormi. Julie voit le corps fessu du père,  vautré sur le lit ...


   - Il cuve Cramoiseau fait la mère... 


       ... Il n'est pas méchant, il est amoureux mais quand il boit, quand il boit trop il devient bête, il fornique, je suis sa ... tiens laisse-m'en un peu dit Brigitte la mère Cramoiseau à Julie sa fille, lui prenant le verre des mains et s'envoyant le reste de rouge...


  • Oui, dit Julie, tu es sa pute, sa truie ... son trou à bites ... 


      Un haut-le coeur soulève Julie, qui se lève d'un bond.


       Elle vomit. Sur le corps défraîchi et gras de sa mère. Et le sien. Salope ! Brigitte Cramoiseau lâche sa fille la gifle, ce vomi qui les bave et enduit toutes les deux ...


  - Mais où vas-tu Julie, pourquoi ouvres-tu la fenêtre, que fais-tu, Julie !...


  - Julie !


      Mais Julie gît dans la nuit indifférente, disloquée sur le trottoir, dans la rue imperturbablement déserte. on dirait vu de haut comme une peinture un Miro, ou une couverture de Détective, un titre : “ Un cadavre dans le nuit .”. “ Drame de l'ivresse à N *** " affichera le journal local.


     " Le père et la mère de J *** sous le choc, hébétés ont été hospitalisés " poursuit l'article qui conclut ; " Il semble que le Beaujolais nouveau bu sans modération soit à l'origine de cette triste histoire de famille .


      Gilbert et Brigitte Cramoiseau feuillettent les journaux, relisent les articles, cinq jours qu'ils ne mangent plus, l'hôpital, les psys, la police, la garde à vue, l'enterrement, les proches atterrés. " Quelle trouvaille d'avoir voulu fêter au lit le Beaujolais nouveau, ressasse Brigitte, alors que Julie était à côté. " Et alors ! c'était l'amour  " grogne Cramoiseau. " Enivrez-vous de vin c'est Baudelaire qui l'a dit, il faut s'enivrer sans trêve ... "

 

      " Il est bien temps de convoquer les poètes ", dit Brigitte Cramoiseau qui n'est plus que l'ombre d'elle même. " L'amour, l'amour ! tu t'es conduit comme une charogne ! "


     - Un charogne ça ne baise pas, dit Cramoiseau. C'est ta faute, poursuit-il. Tu n'as pas fait son éducation sentimentale, il lui fallait " Justine et les malheurs de la vertu ", du Georges Bataille, quand tu n'as fait toute son adolescence que l'allaiter aux seins de Martine, de Candy et autres niaiseries...


     - T'es un pauvre con, comme tous les hommes, la douceur qui séduit, les tendresses qui apaisent, les caresses qui font frissonner le grain de la peau, les lèvres amoureuses ne vous durent que le temps de vos passades, après c'est la bête qui réapparaît ...


     ... et c'est ce que Julie a entendu, vu et compris, elle qui ne rêvait que d'un amour pur et qui dans son journal intime avait recopié et réécrit ces vers de Victor Hugo : " Aimons. Allons aux bois où chantent les fauvettes, il faut vivre et sourire, l'amour est un divin et tendre ensorceleur, je le laisse, je l'espère, je l'attend, je le guette, je laisserai ce charmant traître approcher de ma  bouche sa coupe où nous boirons les extases farouches, et le sombre nectar des baisers éperdus ...    

    Pauvre chérie, elle ne le connaîtra pas le sombre nectar des baisers éperdus "

     

       

- le 30092013/17102014 -


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Nouvelle - 23 - L'Hôtesse de caisse

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15 - L'hôtesse de caisse


L'homme doit avoir trente cinq ans. Il lave à coups de grands mouvements essuie-glaces, maniant sa perche râteau caoutchouc, la devanture d'une blanchisserie. Il s'appelle Antoine Lemaréchal et pense à ce que sa fille de douze ans leur a raconté hier soir à table. Papa, il y a Moura qui m'a demandé au collège ce que faisait mon père. Je lui ai dit que tu travaillais dans une entreprise de services. Elle m'a dit : mais il fait quoi ? c'est quoi des services. Je n'ai pas su lui répondre. Alors elle m'a dit :l


- "Bon s'il travaille ton père, il fait bien quelque chose !."


Alors y'a une copine à Moura qui est arrivée, qui a entendu, c'est Agathe et elle m'a dit :

 

- "Bon allez ! dis le ! ton père il nettoie les chiottes des entreprises.


- C'est ça papa, tu nettoies les chiottes dans les entreprises ?


Antoine Lemaréchal a pâli et c'est Cécile Lemaréchal son épouse qui est intervenue.


- Et les parents de tes copines ils font quoi ?


- Le père de Moura il est agent municipal.


- Ah ! bon il est quoi, il fait quoi ?


- Je crois qu'il est dans les services techniques, il entre les poubelles après le passage des bennes à ordures, à la mairie, puis il les ressort le soir pour le lendemain.


- Eh bien ton père ma chérie, dis-le lui Antoine, il est technicien de surface. C'est à dire qu'il est responsable de la propreté des entreprises.


- C'est-à-dire Chérie, c'est pas...


- Antoine ! tu t'occupes bien de la propreté des entreprises... non ?!


- Oui mais...


- Ma fille, ton père est chargé de la propreté des entreprises, tu as compris ?


- Oui maman, et toi chez Auchan tu fais quoi, t'es caissière ?


- Non ma chérie, je suis hôtesse de caisse. C'est écrit sur mon badge. " Cécile - hôtesse de caisse ". J'enregistre le prix des articles, j'encaisse les chèques, je rends la monnaie. Je suis responsable de caisse.


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15 - L'hôtesse de caisse


L'homme doit avoir trente cinq ans. Il lave à coups de grands mouvements essuie-glaces, maniant sa perche râteau caoutchouc, la devanture d'une blanchisserie. Il s'appelle Antoine Lemaréchal et pense à ce que sa fille de douze ans leur a raconté hier soir à table. Papa, il y a Moura qui m'a demandé au collège ce que faisait mon père. Je lui ai dit que tu travaillais dans une entreprise de services. Elle m'a dit : mais il fait quoi ? c'est quoi des services. Je n'ai pas su lui répondre. Alors elle m'a dit :l


- "Bon s'il travaille ton père, il fait bien quelque chose !."


Alors y'a une copine à Moura qui est arrivée, qui a entendu, c'est Agathe et elle m'a dit :

 

- "Bon allez ! dis le ! ton père il nettoie les chiottes des entreprises.


- C'est ça papa, tu nettoies les chiottes dans les entreprises ?


Antoine Lemaréchal a pâli et c'est Cécile Lemaréchal son épouse qui est intervenue.


- Et les parents de tes copines ils font quoi ?


- Le père de Moura il est agent municipal.


- Ah ! bon il est quoi, il fait quoi ?


- Je crois qu'il est dans les services techniques, il entre les poubelles après le passage des bennes à ordures, à la mairie, puis il les ressort le soir pour le lendemain.


- Eh bien ton père ma chérie, dis-le lui Antoine, il est technicien de surface. C'est à dire qu'il est responsable de la propreté des entreprises.


- C'est-à-dire Chérie, c'est pas...


- Antoine ! tu t'occupes bien de la propreté des entreprises... non ?!


- Oui mais...


- Ma fille, ton père est chargé de la propreté des entreprises, tu as compris ?


- Oui maman, et toi chez Auchan tu fais quoi, t'es caissière ?


- Non ma chérie, je suis hôtesse de caisse. C'est écrit sur mon badge. " Cécile - hôtesse de caisse ". J'enregistre le prix des articles, j'encaisse les chèques, je rends la monnaie. Je suis responsable de caisse.






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Nouvelle - 24 - Un chien à sa fenêtre

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14 - Un chien à son balcon


Elle s'appelle Henriette Bourdin. Elle est retraitée. Elle n'a ni parents, ni proches, ni mari, ni enfant. Son mari, jadis, la quitta. Sa solitude, son ennui la brûlent, la consument. Chaque minute lui est le grain d'un chapelet qu'elle égrène du bout de ses doigts grêles.


Pourtant Henriette s'est achetée un animal de compagnie. Un grand chien, un dalmatien blanc avec des taches noires. Il a de la prestance, quand il la regarde, ses grands yeux noirs fixent et impressionnent Henriette. Assis, quand elle s'approche de lui, son mufle lui arrive à la hauteur des seins. Des seins. Elle n’en eut jamais qu’un semblant.


Quand il sont venus lui livrer l'animal, elle l'a fait installer sur un coin de son balcon qui donne sur la rue. Dès qu'il a été déballé, calé, Henriette l'a savonné à l'eau chaude et rincé à grande eau. Les voisins du dessous n'ont pas été contents. Elle a eut quelque gène à passer l'éponge entre les cuisses de l'animal pourtant émasculé puis l'a lustré vigoureusement avec une peau de chamois. Puis elle a reculé, regardé le chien, elle était heureuse. Elle s'est penchée et a posé ses lèvres sur sa truffe humide.


C'est un beau chien. Tout en plâtre.


Elle avait anticipé et acheté des bassines en plastique, des litières et des sacs de croquettes. Elle les remplit, les change, les vide, les nettoie trois fois par jour, le matin, le midi, le soir. Toutes ses journées depuis cette acquisition subite sont vouées au bien être de monsieur Le Baron, c'est ainsi qu'elle a baptisé le chien. Selon un protocole mis au point au fil des jours, levée, lavée, en robe de chambre elle parait sur le balcon, va flatter le museau de Baron, lui donne un baiser au sommet du crâne, dépose à ses pieds la gamelle de croquettes et un bol d'eau. Elle lui souhaite une bonne journée. Elle lui fait : " Nest-ce pas monsieur le Baron !" puis le quitte, referme sa porte-fenêtre et prend son petit déjeuner en le regardant.


Elle prend un thé aux biscottes qu'elle beurre délicatement faisant toujours éclater la première, maîtrisant mieux la seconde. De ses gros orbites noirs, tirant un bout de son immense langue rose et pendante, le chien voit le thé de sa maîtresse lui dégouliner aux commissures qu'elle s'essuie du revers de sa longue main maigre. Il attend, patient. Une fois qu'elle a eu pris son petit déjeuner ainsi et rangé sa vaisselle, essuyé sa toile cirée, elle retourne sur le balcon et fait pivoter la bête sur son séant posé sur un paillasson qui prévient toute salissure du poil. Ainsi monsieur le Baron se divertit des mouvements de la rue.


Midi donc. L'on recommence, Elle sert le chien d'abord. Elle commence par enlever les récipients du matin souvent pleins encore qu'elle vide, nettoie, essuie et garnit de nouveau d'une nourriture différente. C'est recommandé. Il faut à monsieur le Baron des repas équilibrés. Elle lui sourit, lui tapote le crâne et lui souhaite un bon appétit. "Allez, il faut manger le chien, mangez monsieur le Baron". Puis elle rentre préparer son déjeuner. A quatre heures Henriette Bourdin se reprend un thé accompagné de trois Petits Beurre. Mais monsieur le Baron, quant à lui, n’a droit qu'au renouvellement de son eau. A dix huit heures réitération de la démarche du midi. Elle sert monsieur le chien, lui laisse pendant qu'elle prépare son propre dîner le temps d’apprécier le sien puis le débarrasse de ses bassine, gamelle et bol qu'elle nettoie, essuie et range dans son placard à balai, puis revient cette fois lui faire la toilette du soir. Avec une brosse elle lui lustre vigoureusement le poil , lui caresse les flancs, lui baise la truffe qui lui paraît toujours humide et lui dit :


- Alors, monsieur le Baron a passé une bonne journée, eh bien on va passer une bonne nuit maintenant, n'est-ce pas ?".


Quand les premiers froids apparaissent, commencent à piquer, Henriette compâtit : "Ah, monsieur le Baron est glacé ce matin, il aura eu froid, il aura mal dormi, ce soir grand- maman vous enveloppera dans sa belle couverture écossaise". Et le soir venu Henriette couvre monsieur le Baron de sa belle couverture écossaise.


Henriette Bourdin vivait, lui semblait-il un peu plus heureusement depuis que monsieur le Baron vivait avec elle. Mais les bassines, les gamelles, les bols, les litières et la brosse à reluire commençaient à l'épuiser et elle se disait qu'après tout ceci ressortissait à une pathologie grave. Car enfin s'agiter ainsi à longueur de journée autour de ce qui n'était qu'un morceau de plâtre moulé, façonné, coloré, était tout bonnement ridicule.


Ainsi pensait-elle depuis quelque temps lors de ses insomnies. Alors elle déculpabilisait en se disant qu'il y en avait tant d'autres qui fantasmaient sur des nains de jardin. Cependant, des fièvres ardentes venaient la troubler encore lui suggérant qu'un vrai petit chien à poils longs, qu'une petite boule de chair vivante, soyeuse et tendre, pourrait venir agacer heureusement par de singuliers lapements sur le rivage de ses tréfonds intimes, le creux de son ventre.



   


                      

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